mardi 17 février 2009

Taxidermie, de György Pálfi

Il faut tout d'abord vous prévenir, ce film est franchement dégueulasse! Je me demande encore aujourd'hui comment j'ai pu supporter cette ode perverse à la crasse et aux bas instincts. J'en arrive à me dire que c'est tout simplement parce que le réalisateur maîtrise avec brio l'aspect esthétique qui ici ne célèbre absolument pas le beau. En tous les cas, je ne vais pas vous dévoiler la moindre parcelle de cette mosaïque visuelle suintante mais j'aimerais partager mon émoi et mon admiration pour Taxidermie. Serait-ce vous donner un indice que de vous prévenir : végétariens et prudes s'abstenir! A chaque fois où je me suis dit que Pálfi n'irait pas plus loin, il l'a fait et jusqu'au bout. A vrai dire, après Taxidermie je me suis demandée jusqu'à quel point j'étais prête à satisfaire ma curiosité sur la nature humaine. Vraiment.

L'art du beau

L'art contemporain amène avec lui l'idée qu'une œuvre n'a pas forcément à être belle. Dans son livre formidable L'art contemporain mode d'emploi, Elisabeth Couturier propose de voir des choses comme jamais auparavant. Il est possible de voir des formes d'expressions artistiques différentes et variées pour autant de choses qu'il y ait à exprimer afin de stimuler l'éveil de la pensée dans un environnement constamment en interaction avec les êtres humains. Or, si jusqu'au 18ème siècle l'esthétique se rapportant à l'art désignait le bon goût ou la beauté dans l'oeuvre , l'aspect philosophique de cette discipline a évolué. Aujourd'hui, la définition s'élargie pour désigner ce qui est de l'ordre du sensible en relation avec l'intuition et la vision, par opposition à la raison pure et dure. Autrement dit, le plus important n'est pas ce que l'on voit mais les représentations et les sentiments que ces choses provoquent en nous.

L'art du laid
Commençons par le début : que signifie taxidermie? Selon le petit Larousse illustré de 2004, la taxidermie est l'art de préparer, d'empailler et de monter les animaux vertébrés, en leur conservant l'apparence de la vie. Dans le film, c'est notre tout dernier antihéros qui s'adonne au dépouillage, au tannage puis au montage de la peau sur le mannequin. Tout ceci parait fort délicieux n'est-ce pas? Mais comme je l'ai suggéré, le film comporte trois histoires dont trois losers sont les (anti) héros. Taxidermie raconte l'histoire de trois générations à travers trois hommes en marge de la société. En effet, les personnages principaux de Pálfi ont en commun qu'ils développent des passions grotesques et des pulsions interdites qui sont incompatibles à la norme sociétale. Tous maîtres de leurs vies anormales bien malgré eux, ils ont tout de même cette trace d'humanité qui nous autorise en tant que spectateur à nous identifier à eux (malgré nous). Ce poil de rapprochement entre notre bien-pensance et l'existence obscure de ces créatures bestiales suffit à provoquer un grand inconfort (et une irresistible envie de vomir) mais il y a autre chose. Il faut en plus accepter le voyeur en soi sans craindre de s'immiscer dans l'intimité absolue, dans l'antre de la bête où tout est permis. Je dirai selement ceci : "derrière chaque porte fermée il y a la face cachée de la nature humaine".

La fresque humaine
La photographie et les prises de vue sont en parfaite symbiose et donnent à cette œuvre hautement symbolique un rythme surprenant. Je me permet de comparer la gymnastique de la caméra - qui est synchronisée au mouvement et au son - au langage "Wes Andersonnien". Mais seulement mécaniquement car Taxidermie est dépourvu de couleurs vives et de tout type de représentations associées à l'enfance et au rêve. Ce sont au contraire les difficultés et les souffrances de la vie adulte qui teintent ce film. Pèsent aussi l'ambivalence et le dédoublement entre le sentiment de se sentir entier, de respirer enfin et de savoir qui on est, tout en acceptant la triste vérité : ce monde n'est pas fait pour nous. Quand la passion atteint la chair et que la rencontre avec les instincts libérateurs ne permettent pas d'aller vers l'autre, il reste dans la bouche le goût amer de la solitude. La vie étrange des protagonistes témoigne de leur insuccès à se conformer mais ce n'est pas faute de vouloir exister aux yeux du monde. Chacun cherche obsessionnellement à atteindre l'état de grâce, à se perfectionner dans son art pour ne former plus qu'un avec l'univers. Pourraient-ils seulement consacrer à un être aimé autant d'amour qu'à l'objet de leur passion? Pour cela il devront prendre garde à ne pas se laisser asphyxier par la douce folie qui les guète.

mercredi 11 février 2009

Ma famille à Téhéran (City walls : My own private Teheran), de Afsar Sonia Shafie (2006)

Faire son cinéma et faire sa télé
Je me revois encore défendre la télévision française... à des Français! Depuis mon arrivé dans ce beau pays, je me réjouis d'avoir accès à un univers télévisuel artistiquement et culturellement riche et varié. Bien sure, j'ai le privilège de pouvoir regarder les chaînes payantes qui se rapportent plutôt à des sujets qui m'intéressent. Et puis, je crois en la possibilité d'avoir un rapport sain avec la télévision. Par exemple, chacun peut prendre l'initiative de choisir les programmes à regarder au lieu de passer beaucoup de temps à zapper ou à se contenter des émissions peu stimulantes intellectuellement. Il est aussi possible d'orienter notre choix vers des chaînes qui représentent, selon nos préférences, une source de divertissement, un moyen d'acquérir des connaissances ainsi qu'une source d'information et de réflexion sur des sujets d'actualité. C'est justement ce que j'ai fait cet après-midi.

ARTE ou la programmation à vocation culturelle
Le chiffre sept m'a porté chance aujourd'hui. Ma télécommande s'est arrêté sur ARTE. J'aime beaucoup cette chaîne (jadis, La Sept) qui a toujours le don de me surprendre. D'ailleurs, elle arbore le slogan "Vivons curieux" et encourage l'intégration culturelle européenne. On peut normalement la capter en France sur le câble, par l'ADSL ainsi que par voie analogique, numérique et satellite... sur la 7! Cette chaîne à vocation culturelle propose des magazines et des émissions sur la culture générale, l'architecture, l'art contemporain, etc. En matière de cinéma, on y retrouve plusieurs genres : art-et-essai, international, historique, culte, classiques contemporains ainsi que des documentaires de réalisateurs venant des quatre coins du monde. Programmation trop intello destinée à un public snob? J'entends bien raillerie et reste une fan fidèle de la chaîne franco-allemande, phénomène unique dans le paysage audiovisuel mondial. D'ailleurs, je vous en reparlerai.

Journée spéciale Iran
Trente ans après le renversement du Shah en 1979, ARTE consacre une journée entière à la culture et à l'histoire contemporaine de l'Iran. Dans le but de mieux en comprendre l'actualité, les attentes et l'aspect conflictuel de ses rapports avec l'Occident, la programmation met en vedette des films, documentaires et reportages sur l'Iran. C'est par cette occasion que j'ai pu voir Ma famille à Téhéran, un documentaire de Afsar Sonia Shafie. Témoignage rempli d'émotion de plusieurs générations de femmes dans la famille de la jeune cinéaste iranienne. Ayant fait une partie de ses études en Suisse où elle réside avec son partenaire de vie, elle retourne au pays pour faire la lumière sur un passé troublant. Comme étouffées par les moeurs sociales et les conditions difficiles imposées aux femmes, sa grand-mère, sa mère, ses tantes et sa soeur se livrent aux confidences et se délestent courageusement du poids des mots et des souvenirs.

Hier et aujourd'hui
Les yeux humides, Sonia écoute sa grand-mère lui parler de son mariage raté avec un homme qui ne l'a jamais aimée. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les hommes aussi souffrent du carcan de la religion et des traditions sévères et contraignantes. Plusieurs sombrent dans l'abus d'alcool ou de drogues pour échapper à une vie conjugale qui les détruit. Se résumant à la violence et aux relations extra-conjugales pour extérioriser leur détresse, ils voient leurs famille se fracturer. Cependant, les femmes souffrent doublement de toutes ses afflictions. Elles sont négligées et se retrouvent seules à élever leurs enfants dans des conditions financières difficiles. Comme les femmes divorcées en Iran, la mère de Sonia à connu des périodes d'extrême pauvreté. Rejetée par ses parents, elle s'est résignée à se remarier afin de subvenir aux besoins de ses enfants. La grand-mère de Sonia, elle, a du travailler très dur en tant que femme de ménage pour faire vivre son mari toxicomane et sans emploi et élever ses six enfants. Aujourd'hui, ces femmes sont des héroïnes pour leurs filles qui ont eu la chance, elles, d'avoir accès à l'éducation. En effet, après la révolution de 1979, toutes les écoles et les universités sont devenues islamiques, ce qui a changé la donne pour les femmes et les familles modestes iraniennes.

Riche en émotion, le récit de ces femmes est profondément sincère et empreint d'humilité. Elles ne s'apitoient pas sur leur sort mais se questionnent intelligemment sur la condition féminine. Elles ont vu leur monde changer et observent aujourd'hui une jeunesse constituée de filles épanouies, instruites et ambitieuse qui recherchent le respect et l'harmonie familiale. C'est d'ailleurs en questionnant le carcan religieux que Sonia se dirigera vers des études en philosophie, puis vers le cinéma. Bien qu'elle soit tombée amoureuse, elle n'a pas échappée à un mariage qui a compromis son développement personnel et son projet professionnel. Le divorce à été pour elle comme pour beaucoup de femmes en Iran, la solution difficile mais nécessaire.

Ce documentaire sans prétention est aussi une intrusion dans la société iranienne contemporaine avec ses petits bonheurs. Téhéran est une ville active qui compte un des plus haut pourcentage de jeunes au monde. C'est non seulement à travers son oeuvre mais aussi parce qu'elle porte en elle le dynamisme de cette jeunesse - celle qui a enfin le droit de rêver - que Sonia réussit haut la main ce projet profondémment humain, intime et universel.

dimanche 8 février 2009

Dans Paris, de Christophe Honoré (2006)

C'était en fin d'après-midi, j'étais confortablement assise sur mon canapé et je zappais sans grand intérêt. Je me suis arrêtée sur une image, le visage de Louis Garrel avec le ciel de Paris en arrière fond. Pourquoi ne suis-je pas subjuguée par la poésie et beauté de ce sex symbol qui attire les éloges. A-t-il réellement du talent? Je pose la télécommande et me laisse prendre au jeu. Le film commence par un monologue : Louis Garrel face à la caméra. Il nous parle, il me parle. Son personnage est coupé en deux. Il est à la fois celui de Jonathan, fils allègre et charmant, d'une grande sensibilité, dont la jeunesse empreinte de légèreté se passe à effleurer la peau des filles jusque dans leurs lits et à se balader dans Paris. Mais il incarne aussi l'ange protecteur, fils et frère aimant, qui plane au dessus de son humble appartement transformé en foyer familial par la force des choses. Omniprésent, il veille sur lui. L'appartement, huit clos surpeuplé où se sont réfugiés son père et son frère, contraste avec les vastes rues et les grandes places parisiennes. Ainsi se compose le triptyque du fils consciencieux et spontané qui ère joyeusement en plein air, du frère dépressif et brisé par un chagrin d'amour et du père poule bienveillant, à l'instinct maternel, divorcé parce que tout à fait dépourvu de virilité. Il y a peut-être une intolérance envers les hommes fragiles selon nos codes sociaux mais il en est autrement au cinéma?

Agacée par le monologue peu convaincant du début, je me suis nichée peu à peu au coeur de cette famille masculine dont la mater est l'élément trouble. Elle a quitté le foyer et laissé derrière elle des hommes sensibles. Et la mort d'une enfant qui les a quitté trop tôt. Une sœur ou une fille telle l'ombre d'une deuxième présence féminine qui les hantera pour toujours.
Un des plus beaux moments du film fait intrusion dans l'unique chambre où Paul s'est enfermé et pleure sa rupture des journées entières. Il met un disque et fredonne un vieux succès des années 80 dans un anglais très approximatif et à moitié inventé. Pendant un instant il n'est plus l'homme triste et s'égare inconsciemment dans la mécanique du chant. Il est comme distrait par un élément extérieur insignifiant et se détache délicatement de l'accablante réalité le temps de cette chanson. Affalé sur le lit, il porte un vulgaire caleçon qu'il a porté tant de fois. Personne ne le voit mais moi je le voit et me sens presque gênée d'être là.
Puis Guy Marchant joue le rôle du père inquiet qui regarde vivre sa progéniture meurtrie ou frivole. Il prépare avec conviction le bouillon de poule qui guérit les bobos du cœur. Ces garçons sont des hommes mais encore des enfants. Et la mère qui passe à l'improviste et qui se sent étouffée par l'homme rose, la douceur des hommes. Son ex-mari trop mou et trop compréhensif n'a pas su répondre avec virilité à ses ardeurs charnels. Elle ressent une vague d'écœurement à le regarder là, dans la cuisine qui prépare comme une bonne maman son bouillon de poule. Elle sort une seconde fois de sa vie.
Et Jonathan dans sa course folle retient son frère au bout du fil, lui lance une bouée de sauvetage. Dans Paris il rencontre de jolies filles qui partageront ses ébats. Dans leurs lits, il se sent vivant et pense inconsciemment à son frère qui a perdu le goût de vivre. Comme il voudrait partager ses vertiges sensoriels avec lui, pour le sauver enfin.
Jonathan rejoint Paul pour lui raconter sa journée et lui dire à sa manière qu'il regrette le temps où ils étaient enfants. Le temps où Paul ouvrait un livre d'histoire et lui faisait la lecture. Le réalisateur a d'ailleurs écrit plusieurs livres jeunesse...

J'ai été très touchée par la matérialisation de la solidarité filiale dans ce film. Les personnages semblent partager dans leurs rapports et dans leur intimité des émotions associées au caractère féminin. On pourrait dire en quelque sorte que l'anima (la part féminine de l'homme, selon Carl Jung) permet ici de retrouver un équilibre familial. Paul, Jonathan et leur père diffusent un halo de tendresse masculine rarement vue au cinéma.
Je crois que vous l'aviez deviné mais je me suis laissée émouvoir par la complicité entre les acteurs, par un souffle artistique contemporain et par des scènes touchantes et épurées.

lundi 2 février 2009

Zodiac, de David Fincher (2007)


Déjà, on ne retrouve pas les éléments qui ont fait la popularité de Fight Club, Se7en, Panic Room et The Game : beaucoup d'action, des scènes de crime sanglantes, des cadavres mutilés et exhibés, une intrigue qui tient en haleine, une critique sociale, intensité du huis-clos, etc.


Ici, Fincher raconte une histoire vraie avec un maximum d'autheticité. Il ne met pas l'emphase sur les meurtres du fameux tueur en série mais sur l'impact que ce phénomène social a eu sur les personnes directement ou indirectement impliquées et sur la terreur sociale (contact particulier avec les journalistes, l'usure des policiers sur l'affaire au fil du temps, la dérive d'un survivant, la peur des parents suite aux menaces du tueur, le sensationnalisme à la radio, les messages cryptés publiés dans les journaux, fascination d'un citoyen pour cette enquête, etc.).

Cette enquête qui s'étire sur plusieurs années prend une ampleur particulière à l'époque sur le plan médiatique et juridictionnel (le tueur commet ses crimes dans des zones frontalières pour semer la confusion entre différentes unités policières locales). C'est un film ambitieux selon moi parce qu'il réussit à la perfection à traiter des dommages collatéraux d'une enquête policière et que le contexte social des années 60/70 n'est pas purement esthétique ou latent. Il est intégré méticuleusement dans l'histoire (difficulté à partager l'information chez les autorités policières sans les méthodes technologiques couramment utilisés aujourd'hui comme la télécopie et le courrier électronique. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle le meurtrier est insaisissable).

Il est intéressant aussi de savoir que Fincher vivait à San Fransisco à l'époque alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Il n'a pas échappé au sentiment de terreur qui s'est répandue dans la région. C'est une histoire racontée comme elle a été vécue, de l'intérieur. Travail énorme sur les détails. Impressionnant travail de recherche. J'ai vraiment beaucoup aimé.