L'art du beau
L'art contemporain amène avec lui l'idée qu'une œuvre n'a pas forcément à être belle. Dans son livre formidable L'art contemporain mode d'emploi, Elisabeth Couturier propose de voir des choses comme jamais auparavant. Il est possible de voir des formes d'expressions artistiques différentes et variées pour autant de choses qu'il y ait à exprimer afin de stimuler l'éveil de la pensée dans un environnement constamment en interaction avec les êtres humains. Or, si jusqu'au 18ème siècle l'esthétique se rapportant à l'art désignait le bon goût ou la beauté dans l'oeuvre , l'aspect philosophique de cette discipline a évolué. Aujourd'hui, la définition s'élargie pour désigner ce qui est de l'ordre du sensible en relation avec l'intuition et la vision, par opposition à la raison pure et dure. Autrement dit, le plus important n'est pas ce que l'on voit mais les représentations et les sentiments que ces choses provoquent en nous.
L'art du laid
Commençons par le début : que signifie taxidermie? Selon le petit Larousse illustré de 2004, la taxidermie est l'art de préparer, d'empailler et de monter les animaux vertébrés, en leur conservant l'apparence de la vie. Dans le film, c'est notre tout dernier antihéros qui s'adonne au dépouillage, au tannage puis au montage de la peau sur le mannequin. Tout ceci parait fort délicieux n'est-ce pas? Mais comme je l'ai suggéré, le film comporte trois histoires dont trois losers sont les (anti) héros. Taxidermie raconte l'histoire de trois générations à travers trois hommes en marge de la société. En effet, les personnages principaux de Pálfi ont en commun qu'ils développent des passions grotesques et des pulsions interdites qui sont incompatibles à la norme sociétale. Tous maîtres de leurs vies anormales bien malgré eux, ils ont tout de même cette trace d'humanité qui nous autorise en tant que spectateur à nous identifier à eux (malgré nous). Ce poil de rapprochement entre notre bien-pensance et l'existence obscure de ces créatures bestiales suffit à provoquer un grand inconfort (et une irresistible envie de vomir) mais il y a autre chose. Il faut en plus accepter le voyeur en soi sans craindre de s'immiscer dans l'intimité absolue, dans l'antre de la bête où tout est permis. Je dirai selement ceci : "derrière chaque porte fermée il y a la face cachée de la nature humaine".
La fresque humaine
La photographie et les prises de vue sont en parfaite symbiose et donnent à cette œuvre hautement symbolique un rythme surprenant. Je me permet de comparer la gymnastique de la caméra - qui est synchronisée au mouvement et au son - au langage "Wes Andersonnien". Mais seulement mécaniquement car Taxidermie est dépourvu de couleurs vives et de tout type de représentations associées à l'enfance et au rêve. Ce sont au contraire les difficultés et les souffrances de la vie adulte qui teintent ce film. Pèsent aussi l'ambivalence et le dédoublement entre le sentiment de se sentir entier, de respirer enfin et de savoir qui on est, tout en acceptant la triste vérité : ce monde n'est pas fait pour nous. Quand la passion atteint la chair et que la rencontre avec les instincts libérateurs ne permettent pas d'aller vers l'autre, il reste dans la bouche le goût amer de la solitude. La vie étrange des protagonistes témoigne de leur insuccès à se conformer mais ce n'est pas faute de vouloir exister aux yeux du monde. Chacun cherche obsessionnellement à atteindre l'état de grâce, à se perfectionner dans son art pour ne former plus qu'un avec l'univers. Pourraient-ils seulement consacrer à un être aimé autant d'amour qu'à l'objet de leur passion? Pour cela il devront prendre garde à ne pas se laisser asphyxier par la douce folie qui les guète.